RSE, compter mais sans quantophrénie

Aujourd’hui de plus en plus d’organisations publient en plus de leurs comptes financiers des rapports dits « RSE » contenant un certain nombre d’informations sur la performance sociale et environnementale des organisations.

La publication de ces informations a littéralement explosé ces dernières années à tel point qu’aujourd’hui 96 % des entreprises du G250 présentent un rapport RSE selon une étude du cabinet KPMG.

Autre phénomène notable, on observe une tendance très nette à la quantification des informations RSE publiées dans ces rapports.

Le taux d’émission de CO2 est l’exemple le plus parlant, mais on peut également citer le pourcentage de femmes à des postes de direction ou encore la comptabilisation des consommations énergétiques.

L’idée est simple : face à un environnement de plus en plus complexe, et de plus en plus instable, prendre des décisions avisées devient difficile pour les décideurs. Et quoi de plus complexe que la nature et le vivant.

Le chiffre, l’indicateur, a ceci de fascinant : il permet de donner une image rapide et simple de la situation de l’entreprise. L’indicateur permet également aux parties prenantes qui subissent ces décisions RSE de comparer plus facilement les entreprises entre elles et ainsi de faire le choix de travailler avec certaines et d’en écarter d’autres.

Cette idée n’est pas nouvelle, il suffit d’ailleurs de remonter aux origines de la comptabilité pour s’en convaincre. Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’invention de la comptabilité a même précédé celle de l’écriture ( !) puisqu’on retrouve les premières traces de comptabilité sur des plaques d’argiles et de papyrus datant du 4ème millénaire avant JC.

Même si la comptabilité a évolué et s’est complexifiée depuis, il semblerait que l’Homme ait besoin de compter pour simplifier son environnement et prendre des décisions.

Pourtant, en dépit de ses avantages, un nombre croissant de chercheurs mettent en garde contre la prolifération du chiffre comme seul outil de la RSE et nous demandent de « ne pas nous laisser séduire » par ces indicateurs.

En effet, en simplifiant le réel, l’indicateur ne nous donne à en voir qu’une facette. Selon la facette que l’on choisit de mettre en avant, on donne une certaine image, partielle et donc potentiellement partisane, d’une réalité qui est bien plus complexe qu’il n’y parait.

Pourtant, chaque seconde, des décisions susceptibles d’avoir des conséquences sur la survie même de l’espèce humaine et du vivant sont prises sur la base d’un nombre restreint d’indicateurs chiffrés.

Pour reprendre l’expression du sociologue Pitrim Sorokin, il semblerait que nous soyons tous atteints de quantophrénie, une maladie de l’esprit qui nous pousse à tout traduire par le chiffre.

Alors sans diaboliser les indicateurs RSE, il s’agit d’avoir le recul nécessaire pour ne pas les idéaliser et les voir tel qu’ils sont : des chiffres.

Ces recherches nous incitent à davantage d’humilité quant à notre compréhension du vivant, et à consacrer nos efforts aux actions à mettre en œuvre plutôt qu’à la publication aveugle du chiffre pour le chiffre.

Pour aller plus loin, vous pouvez lire les travaux de Sorokin ou encore de la sociologue Wendy Nelson Espeland sur la quantification, ou encore les travaux du philosophe Baudrillard qui nous amènent à nous questionner sur notre conception du réel.