La richesse normative de la RSE
La RSE, concept issu des sciences de gestion, longtemps restée éloignée de la sphère juridique, est désormais saisie par le droit.
Cette trajectoire normative commence véritablement fin des années 90 / début des années 2000 (lancement du Global compact ; date symbole du Sommet de Johannesburg) : en contexte de crise écologique, de mondialisation et de libéralisme, l’intégration des enjeux de développement durable par les acteurs économiques et financiers grâce à la RSE suscite de grandes attentes. Elle est devenue un outil des politiques publiques -internationales, européennes et nationales- de durabilité puis de transition écologique.
Cette RSE « moderne » ne peut donc plus être « un process privé sans surveillance » (1): il faut la soutenir certes mais aussi la réguler… et le droit, dans sa fonction sociale structurante, est mobilisé, à plus d’un titre.
D’abord, le droit dit souple :
Formé par un ensemble de normes non contraignantes en soi, mais aptes à influencer les comportements (2)…. Ce qui fait au passage de la RSE un parfait laboratoire d’étude des mutations de la « fabrique du Droit « …
Cette « soft law » RSE est d’une part d’origine privée : autorégulation des entreprises, prenant des engagements volontaires qui se matérialisent très souvent par des codes de bonne conduites et autres chartes éthiques.
Et d’autre part elle est d’origine publique/semi publique : co-régulation / « normalisation » de la RSE par la création de grands référentiels à partir des années 2000 :
- le Global compact, les 17 ODD ou les Recommandations entreprise et droits de l’homme de l’ONU ;
- les Principes directeurs à l’intention des multinationales édictés par l’OCDE ;
- et évidemment la norme « politique » que représente l’ISO 26000.
Et l’on observe alors que si cette RSE « normée » reste par nature volontaire, en pratique elle est souvent « imposée » par le marché et les contractants
Par ailleurs volontaire, elle est en réalité sanctionnable : non seulement sur le plan économique et social mais aussi sur le plan juridique. Il y a ici de plus en plus d’affaires !
Par exemple un code éthique ou des allégations trompeur ou mensongers peuvent être poursuivis au titre des pratiques commerciales déloyales. Ou encore le non-respect de son propre code éthique par une entreprise constitue une faute porteuse de sa responsabilité civile (affaire du naufrage de l’Erika).
Ce standard de la faute est aussi utilisé en regard des référentiels internationaux RSE précités, pourtant « volontaires » : dans l’historique affaire « le Peuple contre SHELL » en mai 2021-, la Cour de la Haye, tire de cette soft law RSE des « obligations climatiques » et enjoint à Shell de réduire ses émissions de GES d’ici à 2030.
Après le droit souple, le droit « dur »:
Voici la RSE dans et par la loi : même ces dispositions légales ne sont pas toujours assorties de sanctions directes des dispositions légales caractérisent la RSE moderne.
Dès 2001 avec le reporting RSE, la France a été pionnière, et depuis les grands rendez-vous entre droit et RSE se succèdent :
des lois Grenelle 2009-2010, jusqu’à la loi Climat de 2021 sans oublier les lois Sapin2, Devoir de Vigilance, Transition écologique, Economie circulaire, lanceurs d’alerte, et évidemment la loi PACTE de 2019 : celle-ci fait entrer la RSE dans le code civil et a prolongé le droit de la RSE compliance par un droit de l’entreprise responsable !
La France a inspiré l’Union européenne qui à partir de 2011 (5), va durcir son approche : en la définissant comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis de leurs impacts sur la société » et en légiférant à son tour !
Donc en 2 décennies le paysage juridique de la RSE non seulement s’est formé mais s’est de plus profondément modifié.
Ce que résume la -première- définition judiciaire donnée en 2023 en France, à l’occasion d’un contentieux sur le devoir légal de vigilance :
« Initialement une démarche volontaire » la RSE est « progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité. »
Est-ce suffisant ou faut-il aller plus loin ?
Contestée pour son manque de résultats depuis 20 ans (7), ciblée par un activisme judiciaire très médiatisé, confrontée à davantage de radicalité, la RSE est sommée de progresser, en particulier sur le terrain des contrôles et des sanctions.
La RSE sera (davantage) juridique ou ne sera pas…