Aux origines de la RSE, un concept contesté

Au début des années cinquante, les grandes multinationales américaines sont contestées notamment du fait des dégâts occasionnés à l’environnement et à la société. Les églises protestantes demandent à un professeur d’économie de rédiger un livre pour inciter les dirigeants à faire preuve de davantage de responsabilité. Howard BOWEN publie cet ouvrage sous le titre « Social responsibilities of the business man » dans lequel il demande aux chefs d’entreprise d’aller au-delà de leurs obligations légales de façon à mettre en accord leurs activités avec les attentes de la société civile. Il leur demande également de mesurer régulièrement les écarts entre les deux avec des outils de gestion tels que le bilan social ou l’audit social.

Ces idées eurent le don d’énerver les économistes libéraux, il faut dire que Bowen était un économiste keynésien, donc dans le camp opposé. Le plus célèbre des économistes libéraux qui devait obtenir le prix Nobel en 1976, Milton Friedman, écrivit alors que cette notion de responsabilité sociale était non seulement une ânerie mais aussi qu’elle était dangereuse car elle détournait les chefs d’entreprise de ce qui devait être leur seule préoccupation, faire gagner le maximum d’argent aux actionnaires et donc, pour cela, faire le maximum de bénéfices.

Malgré cette critique qui existe toujours aujourd’hui, la RSE va connaitre un succès grandissant aux Etats-Unis et particulièrement dans la dernière décennie du siècle précédent car un autre auteur américain, également professeur, va lui apporter une charpente théorique qui, jusque-là lui faisait défaut. Edward Freeman (à ne pas confondre avec Friedman) est un professeur de philosophie mais il écrit en 1984 un ouvrage de gestion intitulé : « Strategic Management: A Stakeholder Approach » dans lequel il définit ce que sont les parties prenantes de l’entreprise. Pour lui il s’agit non seulement des actionnaires et des salariés mais aussi des consommateurs, des fournisseurs, des sous-traitants et de ce qu’il appelle les « Communautés » et qui en France correspond à peu près aux territoires sur lesquels est implantée l’entreprise. Il ajoute également les ONG dont la cause est en rapport avec l’activité des entreprises. Pourquoi l’apport de Freeman est-il important ? parce qu’il donne de la consistance à ce qui était un peu flou avec Bowen, les attentes de la société deviennent les attentes des parties prenantes de l’entreprise et on peut donc leur demander leur avis.

Avec le nouveau siècle, en 2001 la RSE arrive en Europe par la publication d’un livre vert de la Commission Européenne intitulé : « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises ». Ce livre vert est bien conforme à l’idée originale de Bowen, c’est-à-dire que la RSE doit rester une initiative volontaire des entreprises mais il précise l’ensemble des domaines sur lesquels elle doit porter, la gestion des ressources humaines, les droits de l’homme et la gestion de l’environnement notamment. A la suite de ce livre vert plusieurs débats vont s’ouvrir avec d’un côté la position des patrons qui ne s’opposent pas à la RSE mais qui souhaitent qu’elle reste volontaire et en face les syndicats et les ONG qui désirent qu’elle devienne obligatoire. Tout va alors s’accélérer et les deux positions, au lieu de s’opposer, vont aller de pair. Il y aura toujours un côté volontaire de la RSE et certaines entreprises, comme Danone ou Schneider Electrique en France, iront assez loin mais des obligations vont également apparaitre et s’imposer à toutes les entreprises, enfin pas vraiment à toutes mais aux plus importantes.

La France donne l’exemple dès 2001 en rendant obligatoire la mesure et la publication d’une quarantaine d’indicateurs de RSE pour les sociétés cotées en bourse, c’est-à-dire environ 800. Par la suite cette obligation connaîtra des évolutions mais elle deviendra de plus en plus précise et concernera de plus en plus d’entreprises. Une capsule est consacrée au thème de la reddition de comptes en matière de RSE.

La RSE va également être gagnée par la ronde des labels et des certifications. Aucun autre domaine de gestion ne connaît autant de normes. La première, et à ce jour la plus importante, est la norme ISO 26000 qui date de 2010 et qui définit avec précision les principes et les domaines d’application de la RSE mais elle n’est pas certifiable, il s’agit de simples principes directeurs.

Plus récemment en 2017 va apparaître une composante importante de la RSE, le devoir de vigilance. Il s’agit de responsabiliser les entreprises vis-à-vis de leurs filiales à l’étranger ce qui est logique mais aussi vis-à-vis de leurs fournisseurs et de leurs sous-traitants, au moins pour ceux avec lesquels ils entretiennent des relations suivies. Cette responsabilité était devenue indispensable car certaines entreprises surveillées dans leurs pays d’origine auraient pu prendre l’habitude de faire faire à l’étranger ce qui était interdit en France.

L’Europe, via le Parlement européen et la Commission européenne sont restés très pro-actifs concernant la RSE et à certains égards on peut même avancer que la RSE est devenue une politique structurante de l’Europe.

Voilà donc comment un concept qui a vu le jour aux Etats Unis dans les années cinquante a traversé l ‘Atlantique pour devenir aujourd’hui une préoccupation permanente des dirigeants d’entreprises européennes.