Alphonse Bertillon (1853-1914) tient une place essentielle dans l’histoire des savoirs sur le crime.
Établir avec certitude « qui est qui­», photographier et cartographier les scènes de crime, collecter et analyser les traces des malfaiteurs … Sherlock Holmes ainsi que les nombreux enquêteurs des séries policières lui doivent beaucoup. Rien ne semble échapper à ce fin limier qui, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle innove dans tous les domaines et influence les pratiques policières à travers le monde entier.

COMMISSARIAT : Pierre Piazza, maitre de conférences en sciences politiques à l’université de Cergy-Pontoise.

VOTRE PARCOURS :
« MENSURER » LES CORPS POUR LES FAIRE PARLER
La France adopte le 27 mai 1885, une loi qui institue la « relégation­» en Guyane et en Nouvelle-Calédonie des délinquants récidivistes. L’application de ce texte implique une identification précise de ces individus, propice à l’essor de l’anthropométrie judiciaire que Bertillon applique à la préfecture de police de Paris à partir du début des années 1880. Désormais, tout individu arrêté par la police est précisément « mensuré­», avec de nouveaux instruments (toises, compas d’épaisseur, pieds à coulisse, etc.).

LA PREUVE PAR L’IMAGE
Au début des années 1870, le service photographique de la préfecture de police de Paris commence à confectionner des clichés de personnes déférées au Dépôt et de «criminels de marque­». Avec Bertillon, la photographie devient véritablement «­judiciaire­». En 1888, il fait aménager un atelier spacieux et fonctionnel. Désormais, le portrait sera pris de face et de profil, dans des conditions de pose et d’éclairage identiques, sans retouche, d’une grande qualité et d’un format normalisé.

LE « PORTRAIT PARLÉ »
Bertillon distingue les individus comme un botaniste classe les plantes, suivant leurs caractéristiques physiques. Chaque élément de leur visage est observé, décomposé, ordonné et décrit à l’aide d’un langage complexe. On ne se contente plus par exemple de termes évasifs pour qualifier un nez. Ce sont dorénavant toutes les «­régions­» le constituant qui sont caractérisées. Les informations morphologiques mais aussi chromatiques (sur les cheveux, l’iris, etc.) permettent une identification plus rigoureuse des malfaiteurs et la reconnaissance policière d’individus recherchés.

L’AFFAIRE DREYFUS
En janvier 1895, le préfet de police Louis Lépine dote le service parisien de l’Identité judiciaire d’un « Laboratoire d’Identification graphique­». Bertillon publie un ouvrage intitulé La comparaison des écritures et l’identification graphique dans lequel il insiste notamment sur le rôle déterminant de l’agrandissement photographique. En octobre 1894, les autorités lui confient en effet l’analyse des fragments d’une correspondance censée prouver les faits d’espionnage dont est accusé le capitaine Alfred Dreyfus (l’envoi de documents secrets à l’Empire allemand). Bertillon développe la thèse complexe de «­l’autoforgerie­» afin de prouver la falsification de son écriture par Dreyfus lui-même. Les membres du premier conseil de Guerre adoptent ses conclusions : Dreyfus a contrefait son écriture. Celui-ci est déporté sur l’île du Diable en Guyane. Dès lors, les Dreyfusards et une large partie de la presse accuseront Bertillon d’antisémitisme et de soutenir un mensonge d’État.

TRACES, INDICES ET SCÈNES DE ­CRIME
Bertillon est le principal expert policier à exploiter les traces digitales mais aussi palmaires, plantaires, d’outils, etc… L’essor de ces pratiques doit beaucoup au succès de Bertillon dans l’affaire Scheffer, en octobre 1902. Il est le premier au monde à identifier un meurtrier, non présent sur les lieux du crime, à partir de ses traces digitales retrouvées sur place.
En 1907, il met au point un « appareil plongeur­» qui, reposant sur un trépied de plus de deux mètres de hauteur, photographie verticalement les victimes sans les déplacer. Bertillon invente aussi la « photographie métrique­» qui documente précisément les lieux de meutres : position du cadavre, traces, disposition du mobilier, accès …

POPULATION SOUS SURVEILLANCE
Dès la fin du XIXe siècle puis, au début des années 1910, Bertillon joue un rôle important dans la lutte contre les anarchistes, d’abord contre Ravachol, puis contre les «anarchistes en auto­» de la bande à Bonnot. Ses méthodes d’identification servent encore à contrôler d’autres catégories de personnes : dans les colonies, les populations «­indigènes­» et sur le sol national, les «­nomades­» à qui l’on impose le port obligatoire d’un carnet anthropométrique d’identité.

UN MODÈLE POUR LES POLICES DU­MONDE ENTIER
Le Bertillonnage suscite un grand intérêt à l’étranger où le service parisien de l’Identité judiciaire s’impose comme un modèle incontestable d’efficacité. A travers ses publications, mais aussi à l’occasion des expositions universelles - à Paris en 1889 et 1900, à Chicago en 1893 – où Bertillon subjugue les visiteurs. Celui-ci prépare l’avènement de la coopération policière transfrontalière, notamment à partir de 1923 avec la Commission internationale de police criminelle (ancêtre d’Interpol).

Source : Département de l'Hérault